Après le jeudi…

Mon silence commençait à se faire long. Pourtant mes lectures sont nombreuses, mais pour certaines, mes commentaires sont réservés ailleurs (vous pourrez les lire bientôt) et pour d’autres, je me suis fixée pour règle de ne pas tirer sur une ambulance ou un jeune auteur et de ne pas perdre votre temps avec un livre qui n’en vaut pas la peine. Des critiques, oui, de la déprime littéraire, non!

Tout cela pour dire qu’il y a peu de romans enthousiasmants (voire lisibles) qui sont passés par mes mains dernièrement. Pourvu que ça change!

L’homme du jeudi de Jean Lemieux n’est peut-être pas un polar qui m’aura transporté, mais on est tout de même bien au-dessus de ceux dont je parlais plus haut.

On y retrouve le sergent André Surprenant. Il a quitté les Îles-de-la-Madeleine depuis un an déjà et a été muté à Québec où il vit avec Geneviève, son ancienne collègue qui a démissionné depuis et les deux enfants de celle-ci. Lorsqu’un jeune garçon disparait avec son vélo, les flics découvrent rapidement les lieux d’un accident, mais pas de traces du chauffard ou de la victime. Son corps est retrouvé quelques jours après dans la rivière. La police est bloquée, l’enquête piétine et le dossier est clos.

Surprenant pourtant s’accroche. Il rend visite à la mère régulièrement pour lui dire qu’il n’abandonne pas. Deux ans plus tard, elle lui annonce qu’elle a tourné la page et qu’elle va se remarier. Le sergent est étonné, il s’intéresse au fiancé et son instinct lui souffle que la rencontre est louche et que le cardiologue dont s’est éprise Diane a quelque chose à voir avec l’accident.

Contre l’avis de sa hiérarchie et les conseils de Geneviève, il continue de fouiner dans le passé du médecin. Un jour, Diane et ce dernier disparaissent. L’enquête devient une course contre la montre et le flair de Surprenant ne l’avait peut-être pas trompé.

Je connaissais déjà le héros de Jean Lemieux puisque j’avais lu On finit toujours par payer (qui a d’ailleurs donné un film plutôt moyen) et Le mort du chemin des Arsène et j’avais envie de le retrouver. Pour commencer par le négatif, sa nouvelle vie à Québec me laisse un peu sur ma faim. C’est l’atmosphère des îles que Lemieux arrivait à insuffler à ses romans qui m’avait particulièrement plu. On y sentait bien la solitude et la dureté du climat, une existence en vase clos étant loin du reste du monde. Bien sûr, ici, il s’agit de Québec et donc l’ambiance n’est pas du tout la même. Pour mieux situer son récit, l’auteur nous décrit les pérégrinations de Surprenant, nous donnant noms de rues et de villages. Cela plaira peut-être à un lecteur de la région, mais je me suis vite lassée pour ma part, car cela participait plus à me perdre dans la géographie québécoise qu’à autre chose.

L’enquête en elle-même est parfois bancale également. Cette obstination de Surprenant à trouver le coupable, même si elle nous fait aimer l’homme, le rend un peu moins crédible comme flic. Il s’accroche à des brindilles de preuves et saute à des conclusions qui sont un peu prématurées. Je serai aussi curieuse de savoir si on laissera vraiment un policier interroger des gens (dont les patrons) d’un homme pour un crime vieux de deux ans pour lequel il avait déjà été écarté et alors qu’il n’y a aucun nouvel indice. C’est peut-être un détail, mais cela m’a donné l’impression que Surprenant se moquait de gâcher la vie de ce médecin s’il avait tort.

Malgré ces critiques, je me suis tout de même embarquée dans l’histoire avec l’envie de découvrir si le sergent voyait juste ou non. Et je pense que la force de Lemieux, ce sont ses personnages, souvent secondaires, qui se construisent et réagissent de façon très humaine: jalousie, rancune, envie, espoir, amour; toutes les émotions sont là, dites de manière assez subtile. Et c’est cela qui, je crois, m’a fait reposer L’homme du jeudi en étant contente de l’avoir lu.

Jean Lemieux, L’homme du jeudi, Éditions de la Courte Échelle, 2012.

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15 commentaires sur “Après le jeudi…”

  1. Éliane Says:

    Il est candidat pour le Saint-Pacôme, bien hâte de voir si le jury sera d’accord avec ton analyse! Je me réserve pour le Club du polar…

  2. Éric Forbes Says:

    Disons que tu ne m’as pas convaincu. Mais ça n’a rien à voir avec toi, personnellement !

    • Morgane Says:

      @ Éric: Il faut dire que j’étais plutôt en mode constat qu’en mode convaincant 🙂 Je peux être beaucoup plus enthousiaste quand je veux!
      @ Eliane: Et j’ai bien hâte aussi de la connaître ton analyse.

  3. norbert spehner Says:

    Pas mal d’accord avec ton appréciation. Détails dans ma prochaine chronique de la Presse. Ça manque d’air salé, d’embruns et d’ambiance même si on abuse de la géographie locale. (de quoi affoler un GPS !) Mais en toute justice, dans une scène de crimes aussi réduite que les les îles-de-la-Madleine, à moins d’être atteint du « syndrome Louise Penny », tu ne peux pas multiplier ad nauseam les crimes de sang ! Un changement d’air était donc envisageable. Bref, c’est pas son meilleur, mais ça se défend.
    Petite info: Martin Michaud et Guillaume Lapierre-Desnoyers sont finalistes au Arthur-Ellis 2012 (avec Pawson, de Diane Vincent dont je ne dira rien ayant déjà assez d’ennemis comme ça :-)).

    • Éliane Says:

      Diane Vincent au Arthur-Ellis? Faudrait qu’elle ait fait beaucoup de progrès, ce que j’ai lu d’elle n’était pas de calibre.

      Mais je croise les doigts pour Guillaume, Pour ne pas mourir ce soir mérite un prix, c’est sûr!

      • Morgane Says:

        Je surveille la prochaine chronique de la Presse, alors 🙂 Comme toujours, quoi!
        Moi aussi, je croise les doigts pour les deux auteurs!

      • Morgane Says:

        Et Norbert a comme passé sous silence qu’il était lui aussi nommé pour Le roman policier en Amérique Française T.2. Modeste, va 🙂
        Par contre, si un francophone pouvait relire le site du prix, ce ne serait pas de refus, j’ai vu 7 fautes sur 5 lignes en une lecture !
        http://crimewriterscanada.com/awards/arthur-ellis-awards/current-contest

      • Éric Forbes Says:

        Pas fort, toutes ces fautes. Comme quoi le bilinguisme est un concept strictement québécois.

  4. Richard Says:

    Quel plaisir de vous lire !
    Alors, on s,entend tous pour s’ennuyer des charmes des Îles … alors, sortons la baguette et le pied-de-vent, débouchons un Bordeaux de qualité et fêtons les nominés (pas tous quand même !) au Prix Arthur-Ellis !
    Bonne chance à toi, Norbert … et aussi à Guillaume !

  5. norbert spehner Says:

    Modeste, moi ? Beuh non…Je l’ignorais, tout simplement. Il n’y avait que trois noms sur la liste que j’ai vue sur je ne sais plus quel site anglo samedi matin. Je pensais même qu’ils avaient éliminé les essais pour ne garder que les romans.
    Or je constate maintenant qu’il y a aussi Maxime Houde…Très bien. La compétition va être féroce et quelle jouissance pour ces jeunes loups si d’aventure (ce qui va probablement arriver) l’un d’entre eux l’emportait sur « le spécialiste » 🙂 Ha, ha…Sarkozy -Hollande, c’est de la p »tite bière à côté de ce duel de titans !
    Merci pour vos encouragements et le verre de Bordeaux, Richard et Morgane ! On va gagner, on va gagner…

    • Éliane Says:

      Et si on ne gagne pas, on ira manifester, paraît que ça se fait beaucoup ces temps-ci…

      Sans rire, la nomination de Norbert allait presque de soi (le presque étant pour faire bonne figure!) Go go go les copains, le fan club est derrière vous!

    • Éric Forbes Says:

      Félicitations M. Spehner ! Moi aussi je n’avais vu que trois noms la semaine dernière.

  6. norbert spehner Says:

    Les réjouissances auront été de courtes durée ! Dans la liste officielle des finalistes (short list) il n’y a que trois noms: Michaud, Lapierre-Desnoyers et Diane Vincent. Mon nom et celui de Houde figuraient sur la liste des LIVRES ENVOYÉS, pas des finalistes ! …Eh oui, il n’y en en a eu que 5 en tout apparemment. Manque d’intérêt des éditeurs ? Manque de communication ? Certainement un peu des deux… Merci quand même pour les félicitations ! Pendant quelques heures, on y a cru… La course se fera donc entre Martin et Guillaume, parce que si c’est la troisième, je déménage aux îles Mouk Mouk !

    • Éric Forbes Says:

      Je suis convaincu que beaucoup d’éditeurs ignorent que ce prix existe.

    • Morgane Says:

      Dommage que les éditeurs manquent d’intérêt, il me semble que tout prix est bon à prendre. En plus, c’est quand même un peu leur boulot de faire des recherches pour savoir ce qui existe. Après ça, ils se plaindront qu’on ne parle pas de leurs livres! En revanche, les mêmes éditeurs n’hésitent pas à envoyer des livres sur d’autres prix même s’ils ne correspondent pas au genre récompensé. Drôle de démarche!


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