Sept cent millions de Chinois …

Il y a des auteurs qu’on surveille chaque année ou presque. Mankell en fait partie bien sûr, surtout après le livre précédent où il mettait Wallander à la retraite et on se demandait bien ce qu’il allait nous offrir. De mon côté, je l’attendais au tournant puisque j’avais été relativement déçue de L’Homme inquiet. Les aléas de la traduction et de l’édition font que le Seuil publie maintenant un roman qui avait en fait été écrit en 2008 soit avant le dernier Wallander: Le Chinois.

2008. Par un matin froid, dans un petit village suédois, on découvre tous les habitants assassinés méthodiquement, maison après maison. Trois personnes ont survécu sans que l’on sache exactement pourquoi. Les pistes sont rares et très vite, la police se persuade qu’il s’agit d’un crime commis par un fou isolé. La curiosité de Birgitta Roslin, une juge en congé maladie, est piquée lorsqu’elle se rend compte que sa mère décédée avait des liens avec plusieurs des victimes. Elle va se rendre jusque là-bas et commencer à entrevoir que la vérité sur ce drame est bien plus complexe que la police ne le croit.

1863, en Chine. San et ses deux frères, Guo Si et Wu, ont dû fuir la campagne et se dirigent vers la grande ville. Leur voyage les conduira jusqu’aux États-Unis pour construire le chemin de fer dans des conditions atroces. Les deux intrigues sont bien sûr liées, car tout dans cette affaire ramènera Birgitta Roslin vers la Chine, celle du passé, mais aussi l’actuelle. Il y a des vengeances qui peuvent attendre longtemps.

Je constate en essayant de donner une idée du récit sans trop en dévoiler que je reproche à ce Mankell la même chose qu’au précédent, trop de pistes peuvent perdre le lecteur. C’est dommage, car encore une fois, elles sont toutes intéressantes.

Il y a, comme d’habitude avec Mankell, une part très humaine, en particulier avec le personnage de Birgitta. À presque soixante ans, elle réfléchit à sa vie de couple qui s’étiole et à ses choix personnels qui l’ont fait évoluer d’une jeunesse maoïste à un poste de juge et des habitudes beaucoup plus bourgeoises. On dirait dans ces moments-là que l’auteur a des comptes à régler avec les jeunes communistes des années soixante.

Le voyage de ces Chinois envoyés aux États-Unis comme esclaves pour participer à la construction du chemin de fer est un passage sombre de l’histoire de la Chine qu’on ne connait pas forcément. Il en est de même pour la présence de ces missionnaires suédois partis évangéliser l’Asie.

Le récit en Chine actuelle est tout aussi passionnant, montrant des dirigeants divisés entre capitalisme et communisme à l’ancienne, prêts à tout pour l’emporter et transformer le pays à leur image dans le but d’assouvir leur idée de grandeur ou de richesse. On sent clairement le message de Mankell sur les dangers qui guettent l’Afrique si les Chinois agissent comme ils le désirent. Il en parle d’ailleurs dans une entrevue qu’il avait donnée au Nouvel Observateur.

Toutes ces pistes amènent des réflexions, des interrogations et j’aurais presque préféré qu’il développe son roman un peu plus en choisissant un des axes et non tous. C’est toujours la même critique qui me vient. Dans cette multitude de récits et de personnages, l’enquête menée par Birgitta Roslin s’en ressent un peu, elle paraît moins crédible et moins bien construite. Chacun y perd de sa substance et la fin s’en retrouve bancale.

Pourtant, malgré ces faiblesses, on ne peut s’empêcher de prendre un grand plaisir à la lecture, car Mankell est un excellent conteur. J’ai aimé les passages plus historiques racontant le voyage de San et ses frères. Très bien écrit, on y ressent la peur, l’abattement et en même temps le courage de tous ses hommes qui ont vécu l’enfer pour construire l’Amérique.

La vision de la Chine actuelle est également passionnante et l’explication des politiques d’expansion en Afrique laisse rêveur et très inquiet.

Encore une fois, je ressors avec la même ambiguïté de ce polar. D’un côté, un très bon moment de lecture et de l’autre, des détails qui affaiblissent le récit. Peut-être que j’ai trop d’attentes pour Henning Mankell et que mon analyse se fait plus critique? Toutefois, une chose est sûre: un Mankell, y compris un peu décevant, cela reste meilleur que beaucoup d’auteurs. Alors, ne boudez pas votre plaisir, vous ne le regretterez pas un instant.

Henning Mankell, Le Chinois, Seuil, 2011 (Kinesen, 2008) traduit du suédois par Rémi Cassaigne.

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5 commentaires sur “Sept cent millions de Chinois …”

  1. Éric Forbes Says:

    Je l’ai abandonné au milieu, lorsqu’on a su qui a fait quoi et pourquoi. Jusque là c’était plutôt intéressant, même si 19 personnes massacrée (pas tuées, massacrées), c’est un peu exagéré. Il semble y avoir, depuis quelques années, dans le polar,une surenchère au niveau du sordide. Et puis les états d’âmes de la madame, ses problèmes de couple surtout… Bof. Lassant à la longue. Sans compter que le personnage de Brigitta souffrait d’un grave problème de crédibilité, ce qui minait sérieusement le récit.
    Dans le polar nordique, il faut absolument lire: L’honneur d’Edward Finnegan, de Roslund et Hellstrom !

    • Morgane Says:

      C’est une obsession, ça 🙂 Mais c’est bien noté, on va aller le voir ce fameux livre!
      Ton interruption de lecture ne m’étonne pas, mais je suis sûre que l’intrigue aurait été moins dispersée et le personnage aurait pu être plus crédible et complet. Et effectivement quand on sait qui est l’assassin, on s’explique mal cette surabondance de violence.


  2. Pour ma part je suis allé au bout du roman, mais j’en suis ressorti déçu. Un histoire rocambolesque qui ne tient pas debout, des personnages caricaturaux. Henning Mankell se perd à vouloir inscrire son histoire dans une critique politique du monde dans lequel évoluent ses personnages. J’attends le prochain, quand même, pour savoir si cet auteur si attachant à encore des choses intéressantes à nous raconter.

    • Morgane Says:

      C’est exactement comme la dernière fois selon moi et il a là le même défaut que d’autres auteurs. À force de vouloir faire passer un message, ils en oublient leur histoire. Mais c’est quand même vrai qu’on y retourne à chaque fois 🙂

  3. Alice Says:

    J’avais été aussi très déçue de L’homme inquiet que j,ai peiné à finir et qui m’est presque tombé des mains… Celui-ci ne me tente pas car trop de pistes laissées de côté vont me laisser su ma fin. Heureusement, je n’ai pas tout lu de lui, alors je vais aller piocher dans ses autres titres!


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