La Main, au cœur de Montréal

Il était bien évident que j’aurais envie de lire ce livre! Lequel? Le dernier Trevanian, The Main: un polar par un Américain, publié par des Français, mais me parlant de Montréal.

Le roman n’est pas récent, il a été écrit en 1976 et n’était plus disponible depuis longtemps en français, même s’il avait été traduit pour la première fois en 1979. Dans le titre, il faut lire the Main, à l’anglaise, comme la rue principale, la nôtre, l’avenue Saint-Laurent, qui se trouve à deux pas de mon appartement. Trevanian la décrit de façon magistrale et se retrouve donc immédiatement dans mon top 5 de l’année.

« La Main est à la fois une rue et un quartier. Dans sa définition la plus étroite, la Main, c’est le boulevard Saint-Laurent, l’ancienne ligne de partage entre le Montréal français et celui des Anglais. Une rue française d’essence et de langage. Artère populaire et bruyante des petites boutiques et de bas loyers, elle fut naturellement la première étape pour les vagues d’immigrants qui déferlaient sur la ville. »

The MainElle traverse Montréal du nord au sud et elle est l’univers entier du lieutenant Claude LaPointe, le policier de Trevanian. Un flic vieille école, même pour les années 70. Il règne sur son territoire, alternant les récompenses et les punitions pour mettre son monde au pas de la loi.

Dès qu’un crime survient dans son artère, c’est lui qu’on appelle, qu’il soit en service ou non. C’est comme cela qu’il se retrouve à enquêter sur un meurtre dans une ruelle. Accompagné d’un Joan, comprendre un petit nouveau, il va arpenter les trottoirs pour trouver le coupable.

Par où est-ce que je commence? L’histoire, peut-être. J’utilise un cliché, mais il fonctionne: on se laisse embarquer dans le récit et on se demande bien qui a commis ses assassinats (on saisit vite que ce n’est pas le premier). Nous ne sommes pas dans un thriller, l’action se perd dans les arrières-cours de Montréal, dans les cafés qui bordent l’avenue, dans les parties de pinocle, un jeu de cartes, de LaPointe et ses amis. On prend le pouls de la ville et on vit au rythme du policier qui fait sa ronde.

Saint-Laurent, c’est aussi la séparation entre les francophones à l’est et les anglophones à l’ouest, et c’est pourquoi Trevanian a mis en équipe LaPointe, le québécois de la campagne, et Guttmann, l’Anglo. C’est le choc des extrêmes: l’âge, l’expérience, les méthodes. Le jeune tout juste sorti de l’école essaye d’expliquer dans son français trop parfait au vieux de la vieille les nouvelles théories policières. L’opposition est peut-être facile, mais elle fonctionne bien et chacun va apprendre de l’autre beaucoup plus qu’il ne le pensait.

Claude LaPointe évolue, le flic en fin de carrière et au cœur brisé réapprend l’espoir, du moins en partie.

Et puis, il y a Montréal, celle des années 70, mais qui, par certains aspects, n’a pas tellement changé aujourd’hui. Et c’est ce qui m’a particulièrement plu dans ce roman: l’atmosphère, l’ambiance, les langages qui se mélangent, les boulangeries juives qui bordent les restaurants chinois. Toute une ville, ça! Et les personnages qui l’habitent sont hauts en couleur, macs, prostituées, mais aussi tailleurs ou simples employés de bureau, tous envahissent la rue et lui donnent sa saveur.

L’écriture? Idéale pour le récit. Et je sais que les Québécois s’inquiètent déjà: un polar sur le Québec traduit en France? Gallmeister a comme toujours mis beaucoup d’attention dans son travail et le traducteur a conservé nos expressions d’ici en les expliquant aux lecteurs français. Les clochards sont bien des robineux et les dialogues ont le goût de Montréal.

Pour une balade noire sur la Main des années 70, suivez le guide Trevanian.

Trevanian, The Main, Gallmeister, 2013 (The Main, 1976) traduit de l’anglais par Robert Bré.

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9 commentaires sur “La Main, au cœur de Montréal”

  1. norbert spehner Says:

    Un petit bémol…Je ne crois pas (quoiqu’en dise le quatrième de couverture qui nous induit en erreur) que l’action se passe dans les années 70. L’Expo a eu lieu en 1967 et le roman ne la mentionne jamais. pas plus que le métro. Me trompe-je ? L’action doit plutôt se passer avant que la ville et la Main ne soit transformée par le métro, l’expo et tout le reste. Je dirais plutôt entre 1960 et 1965,peut-être même avant…
    En tout cas, un des bons romans sur Montréal. Dans le prochain Alibi (le 50 ème, yé..manquez pas ça), je compte publier un article sur la Main dans le polar, vue par Trévanian, Jean Charbonneau et Maxime Houde.

  2. norbert spehner Says:

    Aaargh…Grosse faute dans mon commentaire. Il faut lire « …avant que la ville et la Main ne soient transformées… » Shame on me !

    • Morgane Says:

      Tu résous un questionnement. Je me disais bien aussi que ça ressemblait plus au Montréal d’avant l’expo. Mais comme je n’étais pas là à l’époque (ni ailleurs, il faut dire), j’ai fait confiance à la 4ème. Et on surveille ton article dans Alibis 🙂

    • Éliane Says:

      Voilà qui fait chaud au coeur, quelqu’un qui se soucie de l’orthographe! Faut dire que je viens de corriger quelques travaux de cégépiens à la formation continue et mon coeur saigne… Sur huit rapports, pas un avec la note de passage, tant s’en faut!

      Quant à la Main, ça sera difficile de ne pas comparer avec le Montréal des années 40 de Jean Charbonneau. Bien hâte de lire ça!


  3. Je le lis et j’adore ça.
    Petite correction pour Norbert: page 56 «Ils ne font pas comme les businessmen américains qui se rassemblent dans les salles de conférence du site de l’Exposition dans l’île sainte-Hélène.»

    • Morgane Says:

      Bien vu, je l’avais loupé celui-là et j’avais la même impression que Norbert. En tout cas, je me suis fait plaisir en librairie à Noël en le vendant à tour de bras 🙂


      • C’est un excellent livre, profond, sensible, archi-documenté et intelligent.

      • Christiane CARRASSET Says:

        Mauléon, petite ville du Pays Basque, de l’autre côté de l’océan; Travanian y aurait séjourné, et tes ancêtres, Morgane, maternel et paternel, y sont nés !!! Une raison de plus d’aimer cet auteur, un petit rien qui vous fait cousins !

      • Morgane Says:

        Et je suis maintenant ses traces à Montréal. Comme quoi, il y avait des raisons pour que je l’aime 🙂


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