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Retour dans le Red Light

15/04/2018

Ayant beaucoup aimé les deux premiers volumes de Marie-Eve Bourassa, j’avais donc très hâte de lire Le sentier des bêtes et l’attachée de presse s’en doutait lorsqu’elle me l’a proposé (merci, Marie-Josée !).

Sentier des bêtesOn retrouve Eugène Duchamp, ancien flic, ancien drogué et bien décidé aussi à rester ancien détective privé ! Pour payer son loyer et ses menus besoins, il se prête plutôt à la contrebande d’alcool avec son ami Herb Parker. Après tout, la prohibition a des avantages pour certains. Mais voilà, comme dans tout bon polar, la vie n’est jamais un long fleuve tranquille et lorsque la danseuse de l’année, tout juste couronnée Miss Montréal, est découverte étranglée, Duchamp embarque dans l’enquête. Il ne connaissait pas vraiment Carole Morgan, mais le dernier à avoir vu la jeune femme vivante est son copain Herb et il a disparu depuis la nuit du meurtre. Le détective reprend donc du service pour le défendre, car il sait bien que le petit escroc noir n’a aucune chance face à la justice.

On le répète depuis le premier volume, mais Marie-Eve Bourassa est particulièrement douée pour nous transporter dans le Montréal des années 20 et 30. On regarde les rues, on entend les discussions, tout y est. C’est peut-être la qualité des dialogues qui sonnent si vrais, ou l’exactitude des descriptions, du moins tel que je les imagine, n’étant pas historienne ; pour la fiction, cela marche parfaitement.

Pourtant ce n’est pas que ça, cela ne suffirait pas à garder le lecteur en haleine. Il y a aussi ce personnage passablement magané par la vie qui, même s’il fait le dur, est au fond incapable de ne pas aider les plus vulnérables. Bien sûr, cela lui joue des tours. Classique, peut-être, mais tellement efficace ! L’intrigue qu’invente l’auteure est prenante, on veut savoir comment Eugène Duchamp se sortira de cet imbroglio, s’il y laissera des plumes ou s’il retrouvera l’amour de sa vie ; tout en se disant que ce n’est vraiment pas le lieu pour les « happy ends ». Au-delà de cette histoire très personnelle, Marie-Eve Bourassa ajoute le destin de ces immigrants chinois venus de si loin, mais que les triades ne lâchent pas, elle parle de la pauvreté dans les rues de Montréal, de ces filles pour qui danser, nues ou habillées, est « presque » une avancée dans la vie. C’est le portrait d’une époque et d’une couche de la société qu’on ne retrouve pas si souvent dans les romans.

Alors, ne boudez pas votre plaisir, surtout qu’il s’agit du dernier volume de la trilogie Red Light. Dommage ! Mais après tout, cela nous laisse la surprise de voir où nous amènera Marie-Eve Bourassa la prochaine fois.

Marie-Eve Bourassa, Red Light : Le sentier des bêtes, VLB éditeur, 2017.

Ce n’était pas mieux avant!

30/01/2017

Soyons honnêtes, le monde actuel est assez moche. Alors, pourquoi ne pas aller faire un tour dans le passé pour voir si tout était mieux avant ?

D’accord, vu que c’est du polar, ce ne sera probablement pas beaucoup plus joyeux, mais bon, au moins, ça fait changement !

trois-fois-la-be%cc%82tePremière étape : Trois fois la bête de Zhanie Roy que j’ai lu il y a quelques semaines. C’est l’été 1935 dans un petit village du Québec; les journées sont chaudes, les familles nombreuses, le travail des champs rude. Un premier enfant est retrouvé assassiné, éventré ; puis un deuxième. Où est la bête qui les attaque ? En plus de la peur, la discorde s’installe ; le curé veut créer un nouveau cimetière, un hommage à Dieu ou peut-être plus un témoignage de son passage à lui, humble curé, sur cette terre. Mais tous ne sont pas d’accord sur son choix de lieu et un des hommes, fraîchement revenu des États-Unis, mène la fronde.

Zhanie Roy écrit bien cette idée de peur, on voit la suspicion s’installer dans la tête des villageois. Et si la bête n’était pas un loup affamé par l’été ? Et si le coupable était l’un d’entre eux ? Elle montre aussi très bien les débuts de la rébellion contre l’église. Tout d’un coup, le curé n’est plus l’unique pouvoir, des hommes osent se lever et répondre, avoir un avis différent.

Trois fois la bête est un roman noir. Ici, pas d’enquête, le but n’est pas de démasquer le coupable, homme ou animal, mais bien de montrer la crainte et comment réagit une communauté lorsque le drame frappe. Et tout cela, Zhanie Roy le fait très bien. J’ai été déçue par la résolution, à mes yeux un peu facile, et des motifs de meurtres légers, mais la qualité du roman demeure.

Et puis, au-delà du noir, je trouve que sa description de l’époque forte : la dureté du travail, les enfants qui aident, les familles nombreuses et surtout le courage de ces mères, toujours à l’ouvrage, malgré les grossesses et la fatigue.

adieu-mignonneRemontons encore un peu dans le temps et revenons vers la grande ville avec Marie-Ève Bourassa qui nous amène dans le Red Light de Montréal. Eugène Duchamp vit à deux pas, dans le quartier chinois, avec sa femme. Ancien policier, il a fui en s’enrôlant dans l’armée et en allant combattre en Europe. Il est de retour, infirme et opiomane. Pourtant, certains croient encore en lui puisqu’une jeune prostituée vient lui demander son aide. On a enlevé son enfant dans la maison de passe où elle vit. Elle veut le retrouver et la police ne bougera pas pour une fille comme elle. Eugène se défend, après tout, il n’est pas détective privé ! malgré tout, il sait qu’il est le seul qui pourra aider la jeune femme. Il va donc repartir dans ses quartiers d’autrefois, retrouver ses quelques anciens amis, ses douloureux amours passés ainsi que ses très nombreux ennemis. Son enquête le mènera bien plus loin qu’il ne le pensait, des bas-fonds sordides aux beaux quartiers de Montréal.

Marie-Ève Bourassa nous plonge dans une époque de la ville, qui, de façon surprenante, a été peu utilisée dans les polars jusqu’à maintenant. Pourtant tout est là pour créer l’ambiance parfaite : les mafieux, la corruption dans la police et les hautes-sphères, l’alcool de contrebande, les maisons de passe et la musique des cabarets. Il ne manque plus qu’un privé, et le nôtre est plutôt abîmé. Mais malgré son état de santé et l’abus d’opium, il garde une certaine morale et ne peut s’empêcher de venir en aide à celles qui en ont besoin, surtout quand il sait qu’elles sont seules.

Là encore, la description des lieux et de l’époque fait la force du roman. On voit la ville, les différents quartiers qui correspondent aux différentes classes sociales. La vie est rude pour les plus pauvres et la prostitution souvent la seule solution pour certaines femmes. Marie-Ève Bourassa les montre telles qu’elles sont, trop jeunes, perdues et en même temps pouvant être cruelles entre elles, tout en sachant se défendre. Quant à son héros, à l’image des certains privés classiques du roman noir, il décide par lui-même comment justice doit être rendue… ce qui n’est pas pour me déplaire.

Ce premier volume de la série, Adieu Mignonne, a été pour moi une belle découverte, même si tardive. Le deuxième, Frères d’infortune, est également sorti il y a quelques mois, ce qui me donne envie de savoir ce qu’il advient d’Eugène Duchamp !

Zhanie Roy, Trois fois la bête, À l’étage, 2015.

Marie-Ève Bourassa, Red Light, Adieu Mignonne, VLB éditeur, 2016.