Désolée, je prends plus de temps que prévu à me remettre dans le bain. Je profite de Montréal version estivale: vélo, parcs, pique-niques à répétition, terrasses et soleil, pas vraiment envie de me coller derrière un écran dans mon salon. Et c’est entre autres pour tout ce qui est cité ci-dessus que j’aime autant vivre ici; les avantages de la grande ville avec un parc à cinq minutes à vélo. Avec la pub que je fais partout où je vais pour Montréal, j’espère recevoir bientôt un gros chèque du centre de tourisme.
Revenons au sujet du jour, mes lectures de vacances.
Après le passage à Barcelone, le programme était quelques jours en famille avec pour décor l’océan Atlantique. Cela m’a permis de me plonger dans un antique bouquin retrouvé dans la bibliothèque parentale et que je n’avais encore jamais lu, L’affaire Lerouge d’Émile Gaboriau. Classique d’entre les classiques, ce livre marque avec quelques autres la naissance du roman policier et ce n’est quand même pas rien. Publié en feuilleton dans le journal Le Soleil en 1866, ce texte raconte l’enquête qui suit la mort de la veuve Lerouge qui, selon certains, cachait bien des choses. Le juge Daburon est appelé sur place avec le policier Lecoq qui ira chercher l’aide d’un vieux rentier se piquant d’être détective, Tabaret. En s’appuyant sur les indices, celui-ci va découvrir un drame familial qui le touche de plus près qu’il ne le pense. Bien sûr, l’écriture est un peu datée et il y a beaucoup de rebondissements puisqu’on est dans une publication en feuilleton, mais la rigueur policière est bien là et la logique des petites cellules grises déjà mise en œuvre avant Hercule Poirot. Et puis pour maitriser un genre, il faut connaître son histoire. Sur la plage, moi je lis les classiques!
Étape suivante: Paris. Mais pour y aller, quatre heures de train avec, comme à chaque fois, le coeur gros de quitter les miens. Comprenez-moi bien, j’adore Montréal, mais j’aime tout autant mon coin de pays et il n’est pas vraiment à côté, en partir n’est jamais facile. La littérature aide souvent en pareil cas et Don Winslow faisait parfaitement l’affaire. Mea culpa, vous aviez été nombreux à me dire quand je râlais un peu sur ses derniers romans et leur traduction franco-française: lis donc La Griffe du chien. Ça y est, c’est fait.
Et cela va rester dans ma mémoire comme un de mes polars forts. J’ai eu l’impression comme avec Ellroy de prendre une méchante claque et je suis sûre que certains seront très heureux de le savoir. Pour les autres, La Griffe du chien, c’est vingt-cinq ans de guerre entre la DEA, la CIA et les narcotrafiquants. Une œuvre assez imposante que se soit en nombre de pages (827) et en personnages. On y rencontre Art Keller, flic américain qui se battra jusqu’au bout, Adán et Raúl Barrera, trafiquants mexicains qui vont mettre la main sur le marché, mais aussi des mafieux New-Yorkais, des sicarios, les tueurs armés, des filles et même un évêque. Don Winslow décrit avec beaucoup de talent ce conflit où les alliances les plus étranges se font et la frontière entre bien et mal devient un flou absolu. Les gouvernements d’Amérique Latine se font et se défont au gré de la volonté des trafiquants et des Américains, les victimes collatérales sont légions et ceux qui croient encore à une certaine justice doivent apprendre à vivre avec cette réalité. Ce qui est parfaitement montré, c’est l’humanité des personnages, aucun ou presque n’est entièrement mauvais, ils ont chacun leur faiblesse, une ligne qu’ils ne veulent pas franchir, quelqu’un à qui ils tiennent par-dessus tout. Tous, à un moment, souhaiteraient faire demi-tour pour une vie normale, où la violence n’est pas monnaie courante. Ce qui est très fort également, c’est cette description de la manipulation par les gouvernements. Là, pas besoin de fiction, il suffit de lire les journaux pour savoir ce dont sont capables les Américains. Face à la raison d’État, un homme comme Art Keller ne peut pas grand-chose et pourtant, il continue de se battre. Tout ça pour dire que oui, La Griffe du chien m’a fait un effet monstre.
Le vol de retour à la maison s’est fait en compagnie d’un Irlandais, John Connolly. J’avais déjà lu La Proie des ombres et j’ai acheté Les Murmures à l’aéroport. On y retrouve Charlie Parker, son détective récurrent. À la demande d’un père dont le fils vient de se suicider, il va enquêter sur d’anciens GI revenus d’Irak avec une tendance à l’auto-destruction. L’occasion de parler du PTSD (le Syndrome de Stress Post-Traumatic) qui est un sujet assez intéressant et tout à fait d’actualité, avec ces blessures qui ne se voient pas forcément, mais sont très sérieuses. Dans le cas de ces soldats, cela devient un peu plus grave, car ils entendraient des voix dans une langue étrangère et que tout cela serait lié à un trafic avec l’Irak. Encore une fois, même si j’ai pris plaisir à le lire, Connolly me perd un peu avec la touche fantastique de ses romans, mais pour ceux qui aiment, allez-y. Jean-Marc d’Actu-du-noir, en dit le plus grand bien.
Pour finir le récit de mes vacances littéraires sur une note librairie; après la Librería Negra y Criminal à Barcelone, je ne pouvais pas être à Paris sans visiter une librairie spécialisée. Direction donc Terminus Polar en très bonne compagnie puisque je m’y suis rendue avec Richard, de Polar, noir et blanc et sa compagne France. Les Québécois envahisseurs ont été très bien accueillis et n’ont pas regretté le détour. C’est une petite librairie sympathique, la propriétaire semble passionnée et c’est très bien organisé. Il y a même une section Québec! Richard est sorti de là avec quelques bouquins, acheteur compulsif qu’il est! Quant à moi, mon sac à dos étant assez lourd pour le voyage du retour, je me suis contentée du numéro de printemps de la revue Alibi puisque j’avais acheté celui de l’hiver à mon arrivée en France. Je l’avais déjà écrit, mais je trouve cette revue particulièrement réussie et je regrette qu’elle ne soit pas encore distribuée au Québec. Je peux assurer qu’au moins une libraire en ferait la promotion à ses clients. En attendant, il reste toujours l’abonnement qui me tente de plus en plus.

Émile Gaboriau, L’Affaire Lerouge, 1866.
Don Winslow, La Griffe du chien, Fayard, 2007 (The Power of the Dog, 2005) traduit de l’anglais (États-Unis) par Freddy Michalski.
John Connolly, Les Murmures, Presses de la cité, 2011 (The Whisperers, 2010) traduit de l’anglais (Irlande) par Jacques Martinache.