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Les plus vendus ne sont pas toujours les meilleurs

12/06/2015

J’ai fait dans le très connu ces dernières semaines, comme si je ne pouvais pas passer outre les best-sellers que sont Michael Connelly et Donna Leon. Et je me rappelle à chaque fois que j’ai tendance à être déçue et qu’ils n’ont pas besoin de moi pour se vendre. Évidemment, ce n’était pas désagréable, loin de là, mais j’ai l’impression que ces auteurs n’arrivent plus à m’épater, comme une recette trop longtemps utilisée.

Dans la ville en feu n’est vraiment pas un mauvais Connelly, au contraire. J’avais pourtant été très échaudée après Les neuf dragons, que je trouvais digne d’un film d’action trop facile; vous savez, le genre avec Bruce Willis, des explosions et beaucoup trop de coïncidences. Celui-ci est plus subtil et s’éloigne de la vie privée de Bosch pour revenir à une de ses affaires qui l’obsède.

Dans la ville en feuNous sommes en 1992, Los Angeles est à feu et à sang, en proie à des émeutes sans précédent. La police est sur les dents, l’armée est appelée en renfort. Dans ces conditions, il est impossible d’enquêter correctement sur des homicides. Harry Bosch et son équipier ne peuvent pas s’attarder sur les lieux du meurtre d’Anneke Jespersen, une journaliste danoise dont le corps est retrouvé dans une ruelle. Le dossier va être classé rapidement.

Vingt ans plus tard, Harry a décidé d’attendre encore un peu pour prendre sa retraite et il occupe un poste au Bureau des Affaires non résolues. Il peut enfin rouvrir cette affaire qui le hante depuis longtemps et essayer de rendre la justice pour la jeune femme. En partant d’une douille recueillie sur place, des notes de l’époque et d’un appel obscur reçu par la police quelques années plus tard, Harry remonte une piste qui, il l’espère, permettra d’expliquer ce meurtre.

Les sujets abordés par Connelly ne sont pas inintéressants ; l’atmosphère pendant les émeutes de 1992 ou encore les crimes de guerre commis par les soldats américains donnent un très bon fond à l’histoire.

Le récit avance bien, augmente en puissance pour finir dans un suspense comme il se doit. Et puis il y a la vie privée de Bosch, ses rapports avec sa fille, sa copine et ses supérieurs. C’est efficace, bien fait et agréable à lire.

Alors pourquoi cette déception ? Parce que justement, c’est efficace, bien fait et agréable à lire, mais j’en attendais plus d’un auteur aussi expérimenté que Connelly. Je crois que je suis lasse de la recherche de vérité de Bosch, de sa manière de ne pas suivre les ordres puisque lui seul a raison, de son entêtement et de ses interrogations face à son rôle de père. C’est trop lisse, trop moral, trop américain peut-être ?

Conclusion, vous voulez un bon livre de plage ? Cela conviendra parfaitement.

Même son de cloche de ma part sur le dernier Donna Leon, Le garçon qui ne parlait pas. Le commissaire y enquête cette fois-ci sur le décès d’un employé de la buanderie qu’il fréquente. La mort ressemble à un accident, mais Paola, la femme de Brunetti, ne peut se faire à l’idée que personne n’ait jamais remarqué cet homme de son vivant et comme Guido obéit toujours à son épouse, il cherche des réponses.

Garcon qui ne parlait pasLà encore, je sais qu’il y a un public pour ce type de romans, mais il semblerait que ce ne soit plus moi. J’ai pris plaisir à lire, très rapidement d’ailleurs, cette nouvelle histoire. Mais je reste sur ma faim ; Venise et les plats italiens ne suffisent plus à me contenter. En outre, je crois de moins en moins à ce commissaire aux horaires plus qu’élastiques qui enquête pendant des jours sur une affaire qui n’existe pas officiellement sans que personne n’y trouve rien à redire. Tous les personnages sont attachants, mais je les connais trop et j’ai l’impression que Donna Leon n’y ajoute rien.

Je l’ai d’ailleurs lu il y a quelques semaines et en écrivant ces lignes, je ne me souviens plus de la fin (je sais que j’ai une mémoire défaillante, mais quand même !).

Enfin, c’est l’été et si vous avez envie de lire au parc, ces deux romans conviendront parfaitement; vous pourrez vous arrêter pour une crème glacée sans trop de scrupules tout en passant un bon moment puisque Michael Connelly et Donna Leon ne sont pas des amateurs. Cela suffit parfois à notre bonheur.

Michael Connelly, Dans la ville en feu, Calmann-lévy, 2015 (The Black Box, 2012) traduit de l’anglais par Robert Pépin.

Donna Leon, Le garçon qui ne parlait pas, Calmann-lévy, 2015 (The golden egg, 2013) traduit de l’anglais par Gabriella Zimmermann.

Trois auteurs à succès, trois légères déceptions

08/06/2014

Retour à la critique, parce que sans rire, c’est quand même pour ça que j’ai créé Carnets Noirs, il ne faudrait pas que je l’oublie. En même temps, j’aurai du mal à ne pas y penser quand je vois la pile des livres que j’ai envie de chroniquer qui menace de s’effondrer sur mon bureau. Alors comme d’habitude quand j’ai du retard, je vais faire un lot.

Le thème du jour est le gros, comprendre, le gros auteur, celui que tout le monde lit.

Au menu, trois romans et trois destinations : Dragon bleu, tigre blanc de Qiu Xiaolong, Le Duel d’Arnaldur Indridason et Deux veuves pour un testament de Donna Leon.

La Chine

dragon bleu, tigre blancOn commence par la Chine. On retrouve dans cette neuvième enquête un Chen en difficulté : alors qu’il est en train de travailler sur plusieurs affaires, on le démet tout simplement de ses fonctions. Pourquoi ? Allez savoir. Peut-être s’est-il trop approché d’un des pontes au pouvoir ou d’un monsieur gros-sous. Toujours est-il qu’on lui demande de s’éloigner en lui offrant une fausse promotion.

J’ai retrouvé ici tout ce que j’apprécie de Qiu Xiaolong : le portrait d’une Chine en mutation, partagée entre des traditions ancestrales, un passé communiste et un futur capitaliste, le tout dirigé par un état corrompu. Le but est atteint sans lourdeur, l’auteur veut transmettre son idée sans être trop didactique.

J’y ai vu aussi ce que j’aime moins : un style un peu lent, des descriptions de vie courante parfois inutiles au récit et une propension à l’image un peu trop récurrente. Je sais que cela va avec la culture et le choix du personnage, mais il m’arrive d’être impatiente.

Dans l’ensemble, une lecture positive, même si mon caractère me porte vers des auteurs plus dans l’action et la rapidité. Il n’est toutefois pas désagréable de prendre son temps en écoutant un poème chinois et en mangeant une soupe réputée pour son bon goût, surtout quand cela permet tout de même de critiquer un pouvoir en place aux actes plus que douteux.

L’Islande

DuelDeuxième incursion dans les poids lourds du polar avec Le duel d’Arnaldur Indridason. L’auteur islandais abandonne une fois de plus son héros Erlendur, mais qui plus est, il repart dans le temps puisque nous nous retrouvons à Reykjavik durant l’été 1972. Le monde découvre ce petit pays où aura lieu la confrontation du siècle aux échecs : l’Américain Fischer contre le Russe Spassky. La guerre froide se joue aussi sur un échiquier. Pendant que tous les regards sont tournés vers cet affrontement exceptionnel, un jeune homme est assassiné dans une salle de cinéma. Rien ne le menaçait, il était gentil, un peu spécial et son seul plaisir était d’enregistrer le son des films avec un magnétophone pour pouvoir les réécouter chez lui. Alors pourquoi a-t-il été tué ? À Marion Briem de le découvrir, même si tout le monde se moque bien de savoir ce qui est arrivé au garçon. À travers ce personnage de commissaire, Indridason raconte l’épidémie de tuberculose qui a marqué l’Islande. Il nous montre la peur de la maladie, la violence des traitements, la solitude des sanatoriums ressentis par Marion pendant son enfance.

Ce sont les passages que j’ai apprécié parce qu’ils reviennent sur un passé pas si loin, mais difficile. L’enquête m’a accroché au début, pour finalement me laisser plus froide alors qu’elle se rapprochait de l’espionnage, dont je ne suis pas une adepte. C’est peut-être aussi le personnage de Marion qui a fini par me lasser par son obstination à trouver le coupable et à se cantonner à une idée préconçue sans la remettre en question. Malgré ces quelques réserves, je n’ai pas détesté ce duel, même si c’est loin d’être selon moi le meilleur roman de l’auteur islandais.

L’Italie

deux veuves pour un testamentEt finalement, direction l’Italie, ce qui est de bon augure, car si je me décide enfin à prendre mes billets d’avion, ce sera ma destination estivale. Le titre du jour est une valeur sûre puisqu’il s’agit de la vingtième enquête de l’inspecteur Brunetti. Lorsqu’on l’appelle pour le décès d’une vieille dame, l’affaire paraît simple, son cœur a lâché et elle s’est assommée en tombant. Histoire triste, mais très classique. Mais Brunetti aime fouiller et quand on fouille à Venise, on trouve toujours quelque chose d’un peu louche. Là encore, petite déception en lisant ce nouveau Donna Leon. Toutes les qualités auxquelles on est habitué sont là : l’attitude de Brunetti qui peut passer pour de l’indolence, mais qui n’en est pas, sa vie de famille avec Paola, ses relations avec son supérieur Patta, le Venise de l’auteur tel qu’on l’apprécie. Mais l’histoire ne m’a cette fois-ci pas assez attirée, je suis en tout cas restée sur ma faim, comme s’il n’y en avait justement pas, de fin.

Conclusion globale, trois romans d’écrivains que j’aime toujours lire, mais qui ne m’ont pas tout à fait convaincue. Peut-être que c’est la lassitude, peut-être que j’ai besoin de vacances ou que je veux simplement faire du mauvais esprit en trouvant des faiblesses à trois auteurs reconnus, je vous laisse décider. En attendant, je retourne à mes Québécois pour un petit marathon de lecture en préparation du coup de cœur Saint-Pacôme.

Qiu Xiaolong, Dragon bleu, tigre blanc, Éditions Liana Lévi, 2014 (Shanghai redemption, 2013) traduit de l’anglais par Adélaïde Pralon.

Arnaldur Indridason, Le duel, Éditions Métailié, coll. « Noir » , 2014 (Einvigid, 2011), traduit de l’islandais par Éric Boury.

Donna Leon, Deux veuves pour un testament, Calmann-Lévy, 2014 (Drawing conclusions, 2011) traduit de l’anglais par William Olivier Desmond.

Violences au Cap

07/06/2011

La nouvelle collection polar de Calmann-Levy a déjà quelques titres à son actif et elle nous permet de découvrir un auteur avec beaucoup de potentiel. Ça démarre fort! Il s’agit du premier roman du Sud-Africain Roger Smith. Comme son compatriote, Deon Meyer, il arrive à nous faire sentir la réalité de son pays en construisant un polar très réussi.

Jack Burn vient de s’installer au Cap avec sa femme enceinte et leur fils. Ancien marine, il s’est mis à jouer et a dû fuir les États-Unis où il est recherché pour un vol ayant mal tourné. Attaqué par des membres d’un gang chez lui, il doit se défendre et tue les deux hommes. C’est la cavale qui recommence. Le gardien de nuit de la maison voisine, Benny Mongrel, se doute de ce qui est arrivé, mais son passé d’ex-membre de gang le pousse à se taire. Il ne veut pas d’ennui.

Tout cela se passe à Signal Hill, le quartier blanc et riche du Cap avec ses grandes villas et sa vue sur l’océan. En bas, il y a les Flats, l’enfer ou presque, avec la pauvreté, la drogue, la prostitution, la violence. Et il faut rajouter à cela les flics comme Gatsby Barnard, corrompus et ambitieux, qui se jouent de la loi pour gagner toujours plus de pouvoir et d’argent.

Bien sûr, les chemins des trois hommes vont finir par se croiser et cela ne peut que mal tourner.

Mélanges de sangs a tous les ingrédients d’un excellent polar. Roger Smith a su construire des personnages très intéressants. C’est le cas de Benny Mongrel, l’ancien membre de gang, qui a tué sans scrupule plus d’hommes qu’il ne peut se souvenir et qui s’attache pourtant à un chien. Habitué à ne pas penser que pour lui-même, à se battre pour survivre, son premier réflexe est toujours de chercher son propre intérêt. Jusqu’à ce que l’envie de se venger devienne plus forte.

Gatsby Barnard est peut-être un peu trop caricatural dans sa laideur absolue. Il est gros, moche, il pue et terrorise à tour de bras et on y croit à chaque instant. Il représente le pire de la bêtise et du racisme. Se pensant supérieur aux noirs, il n’y a pourtant que dans les Flats qu’il se sente parfaitement à l’aise. À travers lui, c’est aussi un abus de religion sans humanité que Roger Smith dénonce, avec ses prêcheurs persuadés de devoir dispenser la justice à leur manière.

Un troisième Sud-Africain vient se placer à mi-chemin. Disaster Zondi est un enquêteur zoulou, il croit en la justice et fera tout pour arrêter Barnard pour ses crimes. Il n’est pas naïf mais il est sûr que la situation peut être différente. Pourtant, lui-même a des taches dans son passé.

Comme dans les polars de Deon Meyer ou encore dans Zulu de Caryl Ferey, on sent dans Mélanges de sangs l’opposition entre des hommes qui vivent dans le même pays, mais pourraient se trouver dans un univers parallèle. Chacun sait que l’autre existe, mais son monde lui est inconnu. Roger Smith y rajoute des personnages qui souhaitent faire le pont entre ces deux vies, essayant de se donner toutes les chances pour avoir un avenir décent. Ce qui ressort surtout, c’est l’instinct de survie qui nous domine tous. Chacun se bat pour atteindre son but personnel: Jack Burn veut garder sa famille près de lui, Benny Mongrel cherche la vengeance et Disaster Zondi, lui aussi, demande réparation.

Roger Smith évoque un monde plein de violence. Son écriture, très rythmée, installe un thriller qu’on n’a pas envie de lâcher. Après quelques lectures décevantes de poids lourds du polar, il est plutôt rafraichissant de découvrir un nouvel auteur prometteur. À quand la traduction du prochain?

Roger Smith, Mélanges de sangs, Calmann-Lévy, 2011 (Mixed Blood, 2009) traduit de l’anglais par Mireille Vignol.