Archive for the ‘C’est du noir’ category

Mets ta belle robe, j’t’amène aux vues !

06/09/2017

Maxime Houde abandonne le temps d’un roman son héros Stan Coveleski, même si on le croise au détour d’un chapitre, en forme de clin d’œil. Et des clins d’œil, La vie rêvée de Frank Bélair en regorge. Car c’est le but de l’auteur, rendre hommage au film noir, par sa thématique, mais aussi par sa construction, et y compris sa couverture ! C’est réussi, autant que ma maigre connaissance du genre me permet de le dire. L’atmosphère, les personnages, les lieux, on a tout ce qu’il faut pour qu’Humphrey Bogart débarque (je sais, c’est classique, mais après tout, c’est la première image qui nous vient souvent !).

Vie rêvée de Frank BélairOn rencontre donc François, dit Frank, Bélair. 1942, les affaires sont bonnes pour le propriétaire du Blue Dahlia, un des cabarets à la mode de Montréal. Après tout, les soldats qui vont se battre en Europe ont bien besoin de s’amuser. Frank règne en maître sur ses danseuses et ses clients, mais tout n’est peut-être pas simple quand on doit payer la cut à celui à qui on doit son bar. Et on n’est jamais trop loin des embrouilles dans ce métier.

On va suivre le quotidien de Frank, dans un récit qui avance et qui revient dans le temps, entre 1933 et 1948 : sa famille, sa femme, son fils, mais aussi ses maîtresses et ses liens avec les Rourke, représentants de la mafia locale.

La vie rêvée de Frank Bélair est finalement bien plus le portrait d’un homme et d’une époque dans un certain milieu qu’une intrigue complexe ou une histoire d’un crime. Des méfaits, il y en aura à foison, vous pourrez lire de la corruption, de la violence et même quelques meurtres. Après tout, difficile de garder les mains propres ou de ne pas se trouver confronté à ce genre de choses quand on bosse dans le monde de la nuit. C’est tout cela qu’a voulu montrer Maxime Houde ; et tous les stéréotypes sont là, volontairement : de la femme fatale au gangster, en passant par le bras droit amateur de coups, pour finir avec le héros, le paumé loser qui essaye de faire progresser sa vie en prenant quelques raccourcis, sans se soucier vraiment de ceux qui l’entourent. L’exercice est réussi et Maxime Houde va même jusqu’à nous expliquer ses références dans le mot de la fin.

L’intrigue est plutôt classique, mais la structure ne manque pas d’originalité, puisqu’on saute d’une année à l’autre, retournant dans la jeunesse de Frank pour repartir plus loin, nous permettant de mieux comprendre son parcours. Il s’agit là encore, selon l’auteur, de reproduire ses modèles aux récits non linéaires. C’est en tout cas une belle manière de balader le lecteur pour qu’il ne se laisse pas trop porter.

Les amateurs de films noirs y reconnaîtront sûrement les références, j’ai de mon côté profité de l’ambiance, écouté la musique, regardé les floor shows et senti le parfum des années 30 et 40 à Montréal.

Je ne sais pas si tout cela fait de cette Vie rêvée de Frank Bélair un grand roman noir, je dirais qu’il manque un peu de substance et d’intrigue pour cela. C’est en tout cas un bel hommage au cinéma et on ressort avec des envies de replonger dans nos classiques et nos moins classiques. Éteignez la lumière et amenez le pop-corn, le film va commencer !

Maxime Houde, La vie rêvée de Frank Bélair, Alire, 2017.

Ce n’était pas mieux avant!

30/01/2017

Soyons honnêtes, le monde actuel est assez moche. Alors, pourquoi ne pas aller faire un tour dans le passé pour voir si tout était mieux avant ?

D’accord, vu que c’est du polar, ce ne sera probablement pas beaucoup plus joyeux, mais bon, au moins, ça fait changement !

trois-fois-la-be%cc%82tePremière étape : Trois fois la bête de Zhanie Roy que j’ai lu il y a quelques semaines. C’est l’été 1935 dans un petit village du Québec; les journées sont chaudes, les familles nombreuses, le travail des champs rude. Un premier enfant est retrouvé assassiné, éventré ; puis un deuxième. Où est la bête qui les attaque ? En plus de la peur, la discorde s’installe ; le curé veut créer un nouveau cimetière, un hommage à Dieu ou peut-être plus un témoignage de son passage à lui, humble curé, sur cette terre. Mais tous ne sont pas d’accord sur son choix de lieu et un des hommes, fraîchement revenu des États-Unis, mène la fronde.

Zhanie Roy écrit bien cette idée de peur, on voit la suspicion s’installer dans la tête des villageois. Et si la bête n’était pas un loup affamé par l’été ? Et si le coupable était l’un d’entre eux ? Elle montre aussi très bien les débuts de la rébellion contre l’église. Tout d’un coup, le curé n’est plus l’unique pouvoir, des hommes osent se lever et répondre, avoir un avis différent.

Trois fois la bête est un roman noir. Ici, pas d’enquête, le but n’est pas de démasquer le coupable, homme ou animal, mais bien de montrer la crainte et comment réagit une communauté lorsque le drame frappe. Et tout cela, Zhanie Roy le fait très bien. J’ai été déçue par la résolution, à mes yeux un peu facile, et des motifs de meurtres légers, mais la qualité du roman demeure.

Et puis, au-delà du noir, je trouve que sa description de l’époque forte : la dureté du travail, les enfants qui aident, les familles nombreuses et surtout le courage de ces mères, toujours à l’ouvrage, malgré les grossesses et la fatigue.

adieu-mignonneRemontons encore un peu dans le temps et revenons vers la grande ville avec Marie-Ève Bourassa qui nous amène dans le Red Light de Montréal. Eugène Duchamp vit à deux pas, dans le quartier chinois, avec sa femme. Ancien policier, il a fui en s’enrôlant dans l’armée et en allant combattre en Europe. Il est de retour, infirme et opiomane. Pourtant, certains croient encore en lui puisqu’une jeune prostituée vient lui demander son aide. On a enlevé son enfant dans la maison de passe où elle vit. Elle veut le retrouver et la police ne bougera pas pour une fille comme elle. Eugène se défend, après tout, il n’est pas détective privé ! malgré tout, il sait qu’il est le seul qui pourra aider la jeune femme. Il va donc repartir dans ses quartiers d’autrefois, retrouver ses quelques anciens amis, ses douloureux amours passés ainsi que ses très nombreux ennemis. Son enquête le mènera bien plus loin qu’il ne le pensait, des bas-fonds sordides aux beaux quartiers de Montréal.

Marie-Ève Bourassa nous plonge dans une époque de la ville, qui, de façon surprenante, a été peu utilisée dans les polars jusqu’à maintenant. Pourtant tout est là pour créer l’ambiance parfaite : les mafieux, la corruption dans la police et les hautes-sphères, l’alcool de contrebande, les maisons de passe et la musique des cabarets. Il ne manque plus qu’un privé, et le nôtre est plutôt abîmé. Mais malgré son état de santé et l’abus d’opium, il garde une certaine morale et ne peut s’empêcher de venir en aide à celles qui en ont besoin, surtout quand il sait qu’elles sont seules.

Là encore, la description des lieux et de l’époque fait la force du roman. On voit la ville, les différents quartiers qui correspondent aux différentes classes sociales. La vie est rude pour les plus pauvres et la prostitution souvent la seule solution pour certaines femmes. Marie-Ève Bourassa les montre telles qu’elles sont, trop jeunes, perdues et en même temps pouvant être cruelles entre elles, tout en sachant se défendre. Quant à son héros, à l’image des certains privés classiques du roman noir, il décide par lui-même comment justice doit être rendue… ce qui n’est pas pour me déplaire.

Ce premier volume de la série, Adieu Mignonne, a été pour moi une belle découverte, même si tardive. Le deuxième, Frères d’infortune, est également sorti il y a quelques mois, ce qui me donne envie de savoir ce qu’il advient d’Eugène Duchamp !

Zhanie Roy, Trois fois la bête, À l’étage, 2015.

Marie-Ève Bourassa, Red Light, Adieu Mignonne, VLB éditeur, 2016.

Deux îles, deux S

16/11/2016

Un peu moins d’enquête, un peu plus de noir pour une fois ! Au programme, deux îles, celle du Japon et celle d’Orléans. Pas tout à fait le même gabarit, me direz-vous, pas le même sujet non plus, mais ce sont deux romancières et leur nom commence par un S, ça servira de lien !

Marie-Ève Sévigny est la petite dernière invitée de la collection Héliotrope noir que j’aime toujours autant. Dans Sans terre, elle se frotte à l’écologie et à la corruption des grandes pétrolières, avec un détour par la syndicalisation des travailleurs agricoles étrangers. Le tout dans un court roman d’à peine plus de 250 pages. L’auteure est ambitieuse et elle s’en tire remarquablement bien !

sans-terreGabrielle Rochefort est une militante écologiste bien connue des services de police, comme on dit. Elle sort de prison pour avoir déversé une marée d’oies couvertes de pétrole sur la pelouse d’un ministre. Pas froid aux yeux, quoi ! Elle se réfugie chez sa cousine sur l’île d’Orléans pour se refaire. Mais comme elle est incapable de ne pas agir, elle en profite pour essayer d’organiser la défense des travailleurs étrangers de la ferme familiale.

Une nuit, en son absence, son chalet est incendié, un ouvrier agricole est peut-être la victime. Les soupçons se portent bien sûr sur la principale locataire, qui, de son côté, crie au coup monté par les plus hautes instances du gouvernement.

Chef est retraité de la SQ, il reste celui vers qui tous se tournent sur l’île, et il connaît bien Gabrielle, elle a été sa maîtresse. Il a du mal à l’imaginer dans le rôle de l’incendiaire.

Difficile de résoudre une affaire quand tout le monde préférerait un silence bien plus pratique. Pourtant le rythme s’accélère et le lecteur avale les pages plus vite.

Sans terre est une dénonciation de la corruption. Une fiction un peu trop proche de notre réalité pour être confortable et c’est tant mieux comme ça. Et puis, Marie-Ève Sévigny ne tombe pas dans la facilité du méchant politique contre le gentil écologiste, elle montre aussi que le militantisme peut être excessif et laisser des traces sur les proches. Même si on l’avoue, on se sent bien plus en lien avec celle qui défend les côtes du St-Laurent qu’avec ceux qui voudraient les détruire pour gagner quelques dollars de plus. Quitte à voler dans les plumes de certains au passage.

Il y en avait peut-être déjà quelques-uns, mais Sans terre marque pour moi l’arrivée du roman noir engagé dans un paysage polar québécois qui en manquait et cela fait du bien !

En plus, on ne peut qu’aimer une auteure qui présente les libraires comme des thérapeutes !

Notre deuxième S est celui de Sylvain, pour Dominique Sylvain et son dernier roman, Kabukicho aux éditions Viviane Hamy. Le dépaysement est beaucoup plus grand qu’avec le précédent. Ici, choc des cultures garanti ! Kabukicho, c’est le quartier sulfureux de Tokyo, celui qui, la nuit, brille de néons colorés. Un monde de l’illusion où rien n’est ce qu’il paraît vraiment, même pas les relations humaines et l’art de la séduction. C’est là qu’on trouve les hôtes et les hôtesses, œuvrant dans des bars. Pour le bon prix, ils vous écouteront, vous feront sentir que vous êtes le centre du monde le temps d’une soirée. Parfois la solitude n’est pas seulement physique, elle peut être émotionnelle et c’est là que les meilleures hôtesses sauront agir !

kabukichoC’est le cas de l’Anglaise Kate Sanders, devenue la star du Club Gaïa, jusqu’à sa disparition soudaine. Quelques heures plus tard, son père reçoit une photo d’elle, semblant dormir, suivie des mots « elle dort ici. » Il prend alors contact avec sa locataire, elle aussi hôtesse, la Française Marie et essaye de comprendre qui était sa fille et ce qui lui est arrivé. Du côté officiel, la police tokyoïte mène l’enquête en la personne du capitaine Yamada. Ses soupçons se portent sur Yudai, l’hôte le plus recherché de Kabukicho, ami proche de Kate, mais qui nie avoir été son amant.

À l’image du quartier et de ses habitants, l’histoire que nous raconte Dominique Sylvain est tout en faux-semblants. Qui était vraiment Kate ? Et que venait-elle chercher à Tokyo dans ce quartier quasiment impossible à saisir pour un Occidental ? Difficile pour les enquêteurs officiels ou officieux de le comprendre quand ceux qu’ils interrogent passent leur temps à raconter des demi-vérités comme seuls peuvent le faire les hôtes.

Kabukicho permet de découvrir une facette du monde japonais qu’on connaît peut-être un peu moins. Une plongée pour le lecteur dans une réalité qui lui est inconnue et difficilement compréhensible et c’est un point fort du roman.

Ma réserve vient plutôt de la retenue des personnages, pas assez vivants à mon goût. Mais j’ai eu l’impression, en lisant, que c’était justement volontaire de la part de l’auteure, pour mieux s’accorder au lieu, à l’importance des apparences qui y règne, et augmenter cette ambiance d’image, loin de la réalité des sentiments. Une critique qui se transformerait presque en force donc, mais qui m’a peut-être empêché d’être touchée autant que je l’aurai pu.

Une chose est sûre, Dominique Sylvain réussit à créer des personnages complexes dont on se plaît à découvrir les couches l’une après l’autre en visitant une facette du Japon faite de nuit noire et de néons colorés qui cachent l’âme humaine ou la dévoilent au contraire.

Marie-Ève Sévigny, Sans terre, Héliotrope noir, 2016.

Dominique Sylvain, Kabukicho, Viviane Hamy, 2016.

Une traversée des États-Unis

20/06/2016

Il y a des livres qu’on lit un peu par hasard, parce que quelqu’un nous en a parlé, mais en termes plutôt vagues. C’est ce qui s’est passé avec Dodgers de Bill Beverly publié au Seuil. Le titre ne me disait rien (désolée, je ne suis pas une amatrice de baseball !), je n’aurai donc pas pris la peine d’ouvrir le livre. Ce qui aurait été dommage pour moi.

DodgersOn y découvre East, 15 ans. On est loin de l’adolescence habituelle, pas d’école, de filles, de problème avec les parents. East n’a que sa mère, avec qui il ne vit plus de toute façon. Il bosse pour son oncle, et il a une équipe à ses ordres. Leur boulot ? Surveiller une maison où on vend de la drogue, s’assurer que les flics sont loin, faire le guet. Ils sont bons, mais pas assez ; descente de police, arrestations ; East sait qu’il doit se racheter.

Sa prochaine mission est claire : avec trois autres jeunes, ils doivent rouler jusque dans le Wisconsin pour tuer un juge, témoin gênant dans une affaire contre Fin, leur boss.

La situation aurait de quoi faire rire : trois gamins noirs et un étudiant blanc habillés de t-shirts des Dodgers pour passer inaperçus, conduisant un monospace familial pour un road trip à travers les États-Unis. Mais le sourire est crispé, car les personnalités pourraient être conflictuelles et le voyage va être long.

On suit donc ce jeune, dans sa volonté de bien faire son travail, de gérer cette équipe de bric et de broc ; entre un blanc dealer à l’université, un petit gros plus futé qu’il ne le paraît et le frère d’East, Ty, treize ans et passablement tordu. East sait qu’il ne peut pas lui faire confiance, que tout peut déraper en quelques secondes. Leurs papiers sont faux et ils ne sont même pas armés. Chaque étape les rapproche d’un but qu’ils ne comprennent pas vraiment.

Et les occasions de dérapages seront nombreuses entre Los Angeles et les Grands Lacs. Surtout quand on pense que ces jeunes ne sont jamais vraiment sortis de leur ghetto. Première neige, première campagne, premier désert, première fois qu’ils sont les seuls noirs du coin. Dans l’avancée du voyage, East se rend compte que les autres en savent plus que lui et que le but de l’équipée n’est peut-être pas ce qu’on a bien voulu lui dire.

C’est aussi l’occasion pour lui de mûrir, de devenir adulte en quelque sorte, même si on se dit que ses quinze ans l’ont plus fait grandir que n’importe lequel d’entre nous.

Ce roman est donc un voyage : à travers les États-Unis, d’État en État ; dans la mécanique d’un gang quand ses membres les plus influents sont arrêtés ; dans une famille dysfonctionnelle avec la relation entre Ty et son frère ; et surtout dans la vie de ce jeune, East, dans son parcours vers, peut-être, une certaine liberté.

Et ce qui est particulièrement intéressant dans le roman de Bill Beverly, c’est justement le manque de réponses à toutes ses questions. Il nous montre le trajet sans vraiment nous donner ni le départ, ni l’arrivée, ni les détours d’ailleurs. Cela pourrait être frustrant et c’est en fait bien mieux comme ça, tout est ouvert, même si on a tous les éléments pour trouver les solutions. À nous de voir.

Tout cela en ferait un roman noir parfait, si ce n’était de la traduction, décidément trop française. J’essaye d’être tolérante et en général de me laisser porter par l’histoire, mais sur ce livre-là, cela m’a souvent heurtée, surtout quand il était évident que le texte en français n’avait aucun rapport avec l’original.

Dommage, donc, car il s’agit au-delà de cela d’un roman noir particulièrement chouette et on se laisse embarquer dans les rebondissements et les arrêts dans ce road trip aux allures de dernier voyage !

Bill Beverly, Dodgers, Seuil, 2016 (Dodgers, 2016) traduit de l’anglais par Samuel Todd.

Les noirs d’Héliotrope

30/03/2016

J’avais déjà parlé l’an dernier de la collection Héliotrope Noir avec leur premier titre Excellence poulet de Patrice Lessard qui a failli faire parti de mon top 5 de l’année. J’avais aimé le format, presque poche et roman court, mais surtout, c’est leur projet qui m’avait intrigué : « Pour tracer, livre après livre, une carte inédite du territoire québécois dans laquelle le crime se fait arpenteur-géomètre. » Patrice Lessard nous promenait à Montréal, où allaient donc nous amener les autres ?

Une église pour les oiseauxIl y a d’abord eu Maureen Martineau, que l’on connaissait pour son héroïne Judith Allison (le dernier volume, L’activiste chez VLB est d’ailleurs plutôt bon). Avec Une église pour les oiseaux, elle s’éloigne du polar plus classique pour se tourner vers une atmosphère noire et mystérieuse. Au centre de ce court roman, des martinets ramoneurs qui attendent le meilleur moment pour descendre dans le Sud. Du haut de leur clocher à Ham-Sud en Estrie, ils surplombent les hommes : Roxanne Pépin qui essaye de diriger le village et d’aider son fils ; Hermann Fiesch qui rêve d’installer un zoo dans sa vieille église et Jessica qui voudrait bien d’une vie meilleure que celle d’escorte dans une petite ville. Leur destin à tous sera tragique et on suit le déroulement des faits sans pouvoir rien arrêter.

C’est d’ailleurs une des forces de Maureen Martineau ici, elle place chacun des personnages dans leur histoire propre et on se demande si elles se rencontreront en se doutant que oui, mais sans savoir comment. Et c’est l’atmosphère qui l’emporte, avec ces oiseaux dignes d’Hitchcock, qui amènent une touche de mystère à tout le texte.

L’autre force se trouve dans les personnages. En quelques mots, puisque le roman ne fait pas 200 pages, l’auteure arrive tout de même à leur donner une complexité et à les étoffer. On comprend leur choix, leur parcours et ce qui les mènera jusqu’au bout. Le polar québécois n’est pour l’instant pas très porté vers le roman noir, mais Maureen Martineau montre qu’il faudra compter avec elle.

Du sang sur ses lèvresMa deuxième découverte est plus récente puisque j’ai lu Du sang sur ses lèvres pendant mon séjour à Paris, il y a quelques jours, lors du Salon du livre. J’ai eu la chance d’y travailler en tant que libraire sur le stand du Québec, me faisant, je l’espère, ambassadrice de la littérature québécoise avec mon curieux accent, mélange de Sud-Ouest de la France et d’intonations attrapées à Montréal. Isabelle Gagnon était en signature pour l’occasion et j’avais envie de la découvrir. Comme Maureen Martineau, elle s’éloigne de la métropole.

Alix est une jeune Française. Par l’intermédiaire d’un détective privé, elle retrouve la trace de son jumeau au Québec. Il s’est réfugié dans un chalet à Pohénégamook, dans le Témiscouata. Elle prend un avion pour le rejoindre, car elle se doute qu’il a des projets funestes. La forêt nous entoure et pourtant, nous sommes presque dans un huis clos : Alix, Paul et ce désir de vengeance qui les ronge. Touche par touche, l’auteure installe le récit et ses personnages. Elle nous raconte peu à peu ce drame qui a marqué leur enfance et détruit leur vie d’adulte et on se dit que tout cela ne peut pas bien se terminer. Là encore, nous sommes dans un roman très court puisqu’il ne fait que 130 pages, que j’aurai presque préféré plus bref pour en faire un récit plus fort encore. Cela reste toutefois une belle excursion dans ce noir qu’Héliotrope met à l’honneur. On dit que la vérité rend libre, mais peut-être pas toujours.

Les prochaines parutions dans la collection promettent tout autant, que ce soit La piscine de Jonathan Gaudet ou bien encore le texte d’André Marois, Bienvenue à Meurtreville. À suivre donc.

Maureen Martineau, Une église pour les oiseaux, Héliotrope Noir, 2015.

Isabelle Gagnon, Du sang sur ses lèvres, Héliotrope Noir, 2015.

Vacances romaines (même si je ne suis pas Audrey Hepburn !)

10/08/2014

Long time no see ! Je sais, je sais, je m’absente beaucoup. Que voulez-vous, le temps passe si vite, mon bon monsieur et ma bonne dame. Je me retourne et voilà que deux mois viennent de s’écouler.

Et puis, c’est l’été, il fait chaud, il fait beau aussi et c’est le moment d’aller voir ailleurs si on y est.

C’est ce que j’ai fait pendant trois semaines fin juillet. J’ai traversé l’océan, direction la vieille Europe. Ma première étape a été l’habituelle, le sud-ouest de la France, mes origines. Il faut bien que j’entretienne l’accent et que je fasse une cure gastronomique, sinon, j’ai peur que ma mère ne me reconnaisse pas. Après ça, je me suis dit que l’Italie, ce n’était pas une mauvaise idée. C’est vrai quoi, la Française du sud n’avait jamais mis les pieds chez les voisins, il était temps d’y remédier. Donc me voilà partie pour Florence d’abord et Rome ensuite.

Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas en train de transformer Carnets Noirs en blog de récits de voyage et promis, vous n’y verrez pas de vidéo de mes visites, mais vous savez ce que c’est, en vacances, moi, je lis !

Il faut aussi dire que sang et Italie, ça marche assez bien, il me suffisait de feuilleter mon guide touristique pour avoir des histoires de meurtres, de trahisons et d’assassinats multiples. Je pouvais bien y rajouter de la fiction et j’ai accompagné mon gelato de giallo !

J’aurai bien fait du florentin et du romain, mais je n’ai pas trouvé (pas cherché longtemps non plus, je l’admets), donc il n’y avait pas la ville, mais il y avait la saveur.

Raisons du douteJ’ai débuté par le sud, Bari et Guido Guerrieri, le héros de Gianrico Carofiglio. Dans Les raisons du doute, l’avocat se retrouve confronté à une question difficile. Son client potentiel a été le cauchemar de son adolescence, même si l’homme ne s’en souvient plus, et il est bien décidé à refuser l’affaire. Mais il y a la femme ! Belle, sûre d’elle, elle va le convaincre de pousser ses recherches et, se faisant, il commence à penser que les années ont passé et que le Fabio Ray-Ban de son enfance est peut-être moins coupable que ne le croient les juges.

J’ai aimé ce héros désabusé, toujours à se dire qu’il est temps de changer de métier, mais qui, pourtant, repart de plus belle quand il est persuadé que la justice comme il l’imagine n’est pas rendue. Et il y a ce romantisme presque contre nature, cet homme qui se voit comme un raté, un solitaire, qui ne rêve que de trouver quelqu’un, mais restera honnête jusqu’au bout, même si cela signifie être seul.

Et puis, j’ai apprécié l’écriture efficace, au je, qui nous met d’autant plus dans la peau de Guido Guerrieri. On passe du dialogue aux réflexions personnelles, le tout ponctué de questions et d’exclamations qui s’adressent presque au lecteur. Cela ajoute à donner un ton très intéressant au récit.

Finalement, j’aime l’équilibre que Carofiglio trouve avec l’idée de justice. Ce n’est pas simpliste, Guerrieri n’est pas un blanc chevalier, il ne croit plus beaucoup dans le fonctionnement judiciaire de son pays et lui aussi utilise les rouages du système pour libérer des clients qu’il sait pertinemment coupables. Pourtant, on sent que, presque à son insu, il est mené par cette recherche de justice et d’équité et que lorsqu’il le peut, il va faire le nécessaire pour ajuster la situation.

Un chouette moment de lecture sur les places de Florence après ma visite aux Offices et avoir monté toutes les marches du Duomo (et il y en a !)

Pour l’étape de Rome, j’ai eu envie de remonter dans le temps et les années 60. Il faut dire qu’une visite chez Gibert à Paris m’avait permis de mettre la main sur un vieux Scerbanenco en 10-18.

Enfants du massacreJ’ai donc pu découvrir son héros Duca Lamberti, ancien médecin, radié de l’ordre pour euthanasie, qui depuis collabore avec la Questure de Milan et mène des enquêtes à sa manière. Dans Les enfants du massacre, il se consacre au meurtre d’une institutrice de cours de soir. L’affaire paraît simple, elle a été attaquée par ses élèves, tous des garçons difficiles et ivres au moment des faits, qui se murent dans un silence commun, aucun n’a vu qui a fait, mais ce n’est pas lui.

Lamberti pourrait en rester là, mais il est sûr que ces jeunes hommes n’ont pas agi seuls. Il n’a pas de preuves, juste une intuition, qu’il entend bien poursuivre jusqu’au bout.

C’est un portrait sombre de Milan, l’Italie n’y est pas ensoleillée ni heureuse. On sent la pauvreté, l’inculture, la méchanceté bien ancrée de ces garçons. Lamberti ne participe pas à alléger le tableau, lui qui néglige ses proches quand ils ont besoin de lui parce qu’il a une sensation, une certitude. Il faut dire aussi qu’il est le seul à vouloir parler pour l’institutrice qui mérite bien qu’on se batte pour elle. C’est un personnage complexe, qu’on ne cerne pas et qui nous échappe.

J’ai aimé l’écriture, très factuelle, un peu datée, même si je me demande s’il s’agit d’une traduction fidèle de l’originale. J’irai voir un jour la nouvelle édition chez Rivages pour comparer le ton. Elle correspondait en tout cas à ce que j’avais envie dans mes périples romains. Et puis c’était un nom que j’avais envie de lire depuis longtemps et je me promets bien d’y revenir à un moment.

CarlottoJ’avais aussi amené dans mes bagages L’immense obscurité de la mort de Massimo Carlotto. Un homme ayant perdu sa femme et son fils dans un braquage est contacté des années plus tard par un des condamnés, malade, qui lui demande de l’aider à sortir. L’homme envisage de le faire pour mieux se venger. Je ne le critiquerai pas, je ne l’ai pas fini. J’étais pourtant accrochée, mais c’était trop sombre pour mon atmosphère de vacances au moment où je l’ai commencé. Je le laisse donc là en attendant une meilleure occasion. Mais pour ne pas l’oublier et pour le souvenir, je me suis fait un cadeau dans une librairie romaine en achetant la version originale. Bon, je ne parle pas italien, d’accord, mais ce n’est qu’un détail.

Giancarlo Carofiglio, Les raisons du doute, Points, 2010 (Ragionevoli dubbi, 2006) traduit de l’italien par Nathalie Bauer.

Giorgio Scerbanenco, Les enfants du massacre, 10-18, 1984 (I ragazzi del massacro, 1968) traduit de l’italien par Roland Stragliatti.

Massimo Carlotto, L’immense obscurité de la mort, Éditions Métailié, 2006 (L’oscura immensita della morte, 2004) traduit de l’italien par Laurent Lombard.

On the radio

26/02/2014

Ça commence à se savoir, surtout pour ceux qui me lisent régulièrement, je suis plus attirée par le polar avec flics que par le roman noir ou ce qui lui ressemble.

Alors une fois n’est pas coutume, j’ai eu envie de me frotter à quelque chose de différent, au moins pour moi. Comme c’est encore mieux quand on peut échanger autour, j’ai profité de la carte blanche à Carnets Noirs dans Mission encre noire.

Mais de quoi ai-je parlé? De la tête hors de l’eau de Dan Fante, ma première plongée glauque dans l’univers de cet auteur. Et j’ai beaucoup aimé. L’équilibre entre le noir et l’humour, le ton, ce personnage de Bruno Dante, la description d’une entreprise de télémarketing, tout est génial. Et en plus, c’est chez un très chouette éditeur que j’avais envie de découvrir depuis longtemps: 13e note. Leurs livres ont l’air tous bons et ils sont beaux, ce qui ne gâche rien.

Éric, de son côté, nous a ramenés très loin en arrière avec un recueil de nouvelles écrit par Sherwood Anderson en 1919, Winesburg-en-Ohio. Une plongée dans une petite ville américaine à travers ses habitants, pas que du joli-joli.

Si vous voulez nous écouter en parler, c’est comme d’habitude en baladodiffusion sur le site de Choq.ca

Mission encre noire

Et puis, en passant, si la bande dessinée vous intéresse aussi, écoutez donc Dans ta bulle. Ils enregistrent juste après nous et non seulement, ils sont très drôles, mais en plus, ils donnent plein d’envies de lectures avec des cases.

Derrière les murs

04/12/2013

Il y a des sujets qui semblent toucher plusieurs auteurs au même moment, quelle que soit leur origine; parce que c’est dans l’air du temps. C’est le cas de ces cités fermées, barricadées du monde extérieur pour ne pas se frotter à l’Autre, celui qu’on ne connaît pas et qui est, bien évidemment, dangereux. Antoine Chainas, le Français, et Ahmed Khaled Towfik, l’Égyptien, les ont mis au centre de leurs nouveaux romans.

Il n’en fallait pas plus pour me donner envie d’en parler dans ma Carte blanche à Mission encre noire! Éric n’a pas été très difficile à convaincre, c’est un fan de Chainas. À lui, donc, la lecture de Pur, le dernier né du Français chez Gallimard et à moi la découverte de l’auteur égyptien avec Utopia, publié chez Ombres Noires.

Les deux décors ne sont pas les mêmes. Chainas nous décrit le sud de la France, ses villes un peu fachos, ces riches qui refusent de voir les pauvres et les magouilles politiques qui utilisent les médias. Fiction, vraiment?

Le pays présenté par Towfik est beaucoup plus apocalyptique, roman noir, mais surtout dystopie. Partout des bidonvilles, la misère, la faim, le manque de tout, la survie comme seul objectif. Derrière les murs protégés d’Utopia, les puissants s’ennuient. Jusqu’où doit-on aller pour éprouver un peu d’excitation quand on a tout ce qu’on veut et bien plus encore?

Histoires différentes, donc, mais beaucoup de liens communs. Pour imaginer vers où nous nous dirigeons, il faut regarder notre jeunesse, et dans les deux cas, elle ne va pas bien, surtout chez les plus riches. Comme quoi, de tout avoir, ça ne résout pas la question du bonheur.

Dans les deux récits, on trouve la méconnaissance de l’autre, la peur et la haine font bon ménage aux alentours des murs. Alors, pour oublier, il y a la drogue qu’elle soit légale ou non, et la violence est la réponse à tous les maux.

Le sujet de réflexion a beau être le même, le traitement ne l’est pas, lui. Et l’écriture n’a rien à voir. J’ai, de mon côté, beaucoup aimé celle d’Ahmed Khaled Towfik, sa poésie, le rythme qu’il lui donne. Chainas est plus direct, ce qui n’est pas négatif non plus. Parce que oui, j’ai fini par le lire, Éric m’en parlait tellement que je n’ai pas résisté.

Deux découvertes donc, sur lesquelles nous avions plus à dire, mais pour cela… il va vous falloir écouter l’émission, non mais! Facile, c’est en ligne et en baladodiffusion!

Antoine Chainas, Pur, Gallimard, 2013.

Ahmed Khaled Towfik, Utopia, Ombres Noires, 2013 (Utopia, 2009) traduit de l’arabe par Richard Jacquemond.

 

Cincinnati, en vraiment noir

25/11/2012

Le temps passe et je n’ai toujours pas parlé de Pike. Et pourtant… Et pourtant j’aurai dû, parce que Pike est un de mes derniers coups de coeur, voire coups de poing. Parce que Benjamin Whitmer a écrit un magnifique roman noir. Parce que ses personnages sont forts et font un effet monstre. Parce que c’est un putain de bon roman, voilà!

Douglas Pike est le héros du livre. Truand redoutable dans sa jeunesse, il est revenu se ranger dans sa petite ville natale. Ce qui ne veut pas dire qu’il aime beaucoup plus ses concitoyens. Il vit de boulots de construction qu’il effectue avec Rory. Celui-ci est beaucoup plus jeune, il rêve de devenir boxeur. En attendant, il se bat dans des combats locaux sans grande envergure. Un jour, Pike apprend que sa fille Sarah qu’il n’a pas vue depuis des années vient de mourir d’une overdose. Il se retrouve avec sur les bras une petite-fille de 12 ans, Wendy.

Lorsque Derrick Krieger, un flic véreux et violent, commence à s’intéresser de trop près à elle, Pike et Rory se rendent à Cincinnati pour en savoir plus sur les liens que Sarah entretenait avec lui. Et la vérité n’est pas toujours facile à obtenir ni agréable à entendre.

Je cherchais, il n’y a pas longtemps, à expliquer le roman noir à quelqu’un et bien voilà, c’est ça! Whitmer nous y balance en pleine ville. Baraques pourries, putes et drogués, enfoirés de première, le décor est glauque et donne envie de fuir.

Chacun traine son passé comme un fardeau, pas d’espoir ou presque. Les héros n’en sont même pas. Pike n’a pas toujours été un tendre et lorsqu’il est poussé à bout, ses vieux démons ont tendance à reprendre le dessus. Rory voudrait bien garder un peu de son innocence, mais avec ce qu’il a déjà vécu et ce qui s’en vient, cela ne risque pas d’arriver.

Benjamin Whitmer a créé des personnages qui auraient pu n’être que des caricatures, truand cultivé, boxeur au grand coeur, adolescente qui en sait plus qu’elle devrait. Il réussit cependant à les faire exister, à leur donner une profondeur, du caractère, même à ceux qu’on ne voit que passer.

Et il y a l’écriture, sombre elle aussi, à la fois très simple et très travaillée, pleine de phrases qu’on se répète parce qu’elles sont exactement ce qu’elles devraient être.

Le voyage est terrifiant, la lecture complètement dérangeante et pourtant on ne peut que continuer pour savoir jusqu’où on peut tomber sans rien à quoi se rattraper.

Rien à ajouter. Lisez Pike, c’est tout!

« Je l’ai toujours aimé autant que j’étais capable. Mais je n’étais pas quelqu’un de très capable. »

Benjamin Whitmer, Pike, Gallmeister, 2012 (Pike, 2010) traduit de l’anglais (États-Unis) par Jacques Mailhos.

L’Irlande du Nord à bicyclette

23/10/2010

Je suis tombée sur La bicyclette de la violence de Colin Bateman un peu par hasard dans une vente de garage (pour les français, c’est un vide-grenier, différent lieu, même accumulation). Le nom sonnait une cloche sans trop savoir pourquoi, donc achat. Ce que je veux dire, c’est que je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre en commençant ma lecture. Je la termine et je ne sais toujours pas. J’hésite entre avoir aimé et être dubitative. Déstabilisée, voilà le mot et pour le mieux, je pense.

Miller (pas de prénom car celui-ci serait indigne d’un chrétien, comprendre trop ridicule) est journaliste. Les deux dernières années ont été marquées par une hécatombe dans la famille Miller. Après la mort de la tante, ça a été le tour de sa mère, puis son frère est parti pour Londres. Pas étonnant qu’à la mort de son père d’un cancer qu’il ne lui connaissait pas, Miller pète légèrement un plomb et que complètement soûl (un état assez courant chez lui), il insulte copieusement la majorité de ses collègues au milieu de la salle de rédaction. Comme pareil acte ne peut pas vraiment rester impuni (il faut dire qu’il a fini par vomir sur un clavier et tomber sur le grand patron du journal, littéralement), il se retrouve muté dans le trou perdu de Crossmaheart, banlieue dure de Belfast. Les tensions sont fortes entre catholiques et protestants (la preuve, ils ne fréquentent pas le même pub), les bombes explosent régulièrement et son prédécesseur a disparu sans laisser de trace. Tout cela tend à ne pas rendre Crossmaheart le lieu le plus accueillant d’Irlande du nord. Et pourtant, Miller rencontre Marie qui va rendre la ville beaucoup plus agréable à ses yeux, même si la fille a des tendances foldingues.

Disons-le tout de suite, Miller ne va pas enquêter sur la disparition de son prédécesseur enfin, pas vraiment. En fait, il ne s’agit absolument pas d’une enquête mais d’un roman très noir. Et tout ce pessimisme est caché sous un humour encore plus noir. Vous voyez le genre? L’Irlande commence à nous habituer au style et Bateman y excelle autant que Hugo Hamilton avec son flic Pat Coyne. Il y a quelque chose qui tient de la résignation dans leur écriture. Oui, la violence est omniprésente, il y a des victimes innocentes, il y a quelque chose de pourri dans le royaume d’Irlande, mais ce ne sont pas des raisons pour ne pas en rire. Que ce soit dans les dialogues, les personnages ou les situations, tout est à la limite de l’absurde tout en restant profondément ancrée dans la réalité. Miller passe tellement de temps soûl qu’on ne sait plus quand il ne l’est pas, il se fait passer à tabac, kidnappé puis une bombe explose près de lui mais il est toujours debout ou presque et c’est nous qui perdons le sens de la réalité. Et comme Miller reste quand même un excellent journaliste, il va réveiller de vieux démons.

Bateman manie avec talent l’humour, mais c’est un humour presque triste qui nous fait rire jaune. Tant de violence, de haine et d’absurdité jusqu’à la fin qui laisse un goût amer. C’est peut-être cela qui m’a déstabilisé, je n’ai pas envie d’adorer ce livre car il me montre juste la déraison du monde et l’omniprésence de la violence. Et pourtant, il faut bien s’y faire, Colin Bateman ne fait que romancer à l’extrême une situation existante. Il nous montre l’Irlande du nord et ses conflits, la difficulté d’y être journaliste, les tensions et comment on peut combattre par l’absurde.

Finalement, après y avoir réfléchi, je ne suis plus dubitative. Triste et déprimée, un peu, mais c’était le but, non?

Colin Bateman, La bicyclette de la violence, Gallimard, 1998 (Cycle of Violence, 1995) traduit de l’anglais (Irlande) par Stéphane Carn.