Critiques express

Mes silences plus ou moins longs des derniers mois ne signifiaient pas une absence totale de lecture, c’est la mise par écrit qui faisait défaut. La pile de livres lus grandissait et j’attendais d’en faire la critique pour pouvoir enfin les ranger à leur place (oui, je suis légèrement maniaque, je classe, ça me rassure). Le temps passe, manque surtout, les idées s’effacent peu à peu. J’ai donc décidé de faire de la speed-critique pour rattraper mon retard, et parce que ces titres en valent vraiment la peine. Un roman et quelques lignes pour vous convaincre, il paraît que ça peut marcher dans les rencontres, testons en littérature.

Dans Tijuana Straits, Kem Nunn nous amène à la frontière entre la Californie et le Mexique. Sam Fahey est un loser, après quelques années en taule, il vit seul et élève ses vers de terre sans se soucier des autres. Il recueille une jeune Mexicaine, Magdalena, que certains préfèreraient voir morte. En voulant chercher ses ennemis, elle va l’entrainer dans sa lutte pour un monde plus équitable. La frontière n’est pas un lieu qu’on a envie de fréquenter et Kem Nunn met le doigt là où ça fait mal, il se passe des choses terribles au sud, la drogue seule permet d’oublier, et le nord s’en fout ou en profite. Et il y a la nature aussi, pourrie par l’homme avec juste quelques vieux surfeurs pour se souvenir que l’eau avait été claire un jour. C’est noir, très noir, mais c’est excellent!

Direction la Nouvelle-Zélande avec Paul Cleave. Son premier roman Un employé modèle était déjà une réussite et il repart sur le thème du tueur en série dans Un père idéal. Edward Hunter est un travailleur appliqué et un homme heureux avec une femme et une fille qu’il adore. Seule ombre au tableau, son père est en taule pour avoir tué un certain nombre de prostituées, mais Edward se sait différent. Sauf que, quand on lui enlève ceux qu’il aime, pas sûr qu’il résiste à l’appel du mal. Encore une fois, le cynisme de Cleave revient en force. La violence appelle la violence et on s’y retrouve plongé sans s’y attendre vraiment. Ça fait peur et c’est pour ça que c’est bon. Avons-nous tous un monstre en nous?

On va plus au nord et il fait tout aussi chaud. C’est la canicule en Suède et le soleil frappe fort dans Été. Mons Kallentoft nous revient avec son enquêtrice Malin Fors. Celle-ci se retrouve aux prises avec un violeur particulièrement cruel. Pas facile de trouver des réponses quand tout le monde a peur et que les incendies se multiplient partout autour de la ville. Le rythme est plus lent que pour mes deux suggestions précédentes avec quelques passages un peu trop éthérés à mon goût, mais cela convient plutôt bien au récit et Malin Fors est un personnage auquel on s’attache. Un bon cru suédois dans cette mer de nouveautés scandinaves pas toujours à la hauteur. Petit bémol éditorial, une quatrième de couverture qui donne le punch qui n’arrive qu’à la page 389, soit 50 pages avant la fin, n’est pas un bon argumentaire de lecture!

Retour dans le passé avec L’origine du Silence de Jed Rubenfeld. Il retrouve le personnage de Stratham Younger, disciple de Freud reparti aux États-Unis. Nous sommes en 1920, il y rencontre la jeune Française Colette et son petit frère Luc, muet depuis la guerre. Un attentat vient d’ébranler Wall Street et son ami, l’inspecteur James Littlemore est chargé d’enquêter. Un roman qui nous promène en Europe et aux États-Unis et nous fait découvrir un bout d’histoire puisque cette attaque a réellement eu lieu. Rubenfeld a le sens du récit, il arrive à démêler lentement, mais pas trop, les fils de son écheveau en nous parlant aussi de plein d’autres choses.

L’univers de John Burnside est complètement différent. Dans Scintillation, il nous lâche dans l’Intraville, avec ses parents rendus malades par des années de labeur dans l’usine chimique maintenant abandonnée et ses enfants sauvages qui hantent ces lieux pollués. Comment être surpris que personne ne fasse rien quand des garçons disparaissent un à un au fil des années. Qui a la force de réagir? Leonard est adolescent et il croit encore un peu en l’avenir, il prend courage dans la littérature. Cela pourrait être partout et c’est nulle part, un monde qui se détériore et qui meurt à petit feu. Voilà un texte à la fois très noir et d’une grande poésie. Cela ne s’oublie pas en fermant la dernière page, les mots restent et cela me donne envie de terminer sur un extrait:

« C’est vraiment typique de la façon dont marche le monde: les gens qui adorent les livres, ou autre, n’ont pas les moyens de s’en acheter, pendant que les gens bourrés de fric font des études commerciales pour pouvoir gagner encore plus d’argent et maintenir les liseurs de livres dans l’impuissance. »

La libraire-liseuse ne peut qu’acquiescer.

Kem Nunn, Tijuana Straits, Sonatine, 2011 (Tijuana Straits, 2004), traduit de l’anglais par Natalie Zimmermann.

Paul Cleave, Un père idéal, Sonatine, 2001 (Blood Men, 2010), traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau.

Mons Kallentoft, Été, Serpent Noir, 2010 (Sommardöden, 2008), traduit du suédois par Max Stadler et Lucile Clauss.

Jed Rubenfeld, L’Origine du silence, Fleuve Noir, 2011 (The Death Instinct, 2010), traduit de l’anglais par Carine Chichereau.

John Burnside, Scintillation, Métailié, 2011 (Glister, 2008), traduit de l’anglais par Catherine Richard.

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3 commentaires sur “Critiques express”

  1. Éric Forbes Says:

    Déchainée !

  2. Éliane Says:

    Salut à la critiqueuse express!

    Ouf, ça donne furieusement le goût de lire, tout ça. Ma liste s’allonge, s’allonge, et le temps reste derrière… Vive la lecture!

    J’aimerais en profiter au passage pour souligner l’impeccable orthographe de tes textes. Je sais, ça fait un peu téteux, mais c’est si beau quand c’est bien écrit… et ce n’est pas si courant.

    😉

    • Morgane Says:

      Merci beaucoup, mais le mérite en revient pour beaucoup à Antidote qui ne laisse (presque) rien passer. Par contre, c’est vrai que c’est important pour moi, que ce soit ici ou sur les blogs que je lis. Les fautes, ça fait mal aux yeux 🙂


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